samedi 24 mars 2018

Un peu de culture


J'ai lu des bouquins formidables en ce début d'année.


D'abord deux livres coups de poing:

Emilie de Turckheim: "L'enlèvement des Sabines". Une découverte. Je ne connaissais pas du tout Emilie de Turckheim. Je l'aurais confondue avec Charlotte. Un livre absolument singulier, dérangeant, scandaleux.


Alexandre BRANDY: "Il y a longtemps que je mens". Un livre également stupéfiant. Un joueur, un imposteur d'envergure. "Je est un autre" disait Rimbaud. Du premier mensonge à la prison, on croise le Paris fortuné mais aussi Proust, Dostoïevsky, Baudelaire.


Trois livres nostalgiques:

Didier BLONDE: "Le figurant". Un Paris peuplé de fantômes qui ressuscite les années 60 et le tournage de "Baisers volés" de François Truffaut. Quelles traces ont laissées, jusqu'à aujourd'hui, les petits événements de ce tournage ? Un roman magnifique tissé de réminiscences. Je précise, en outre, que le précédent bouquin de Didier Blonde: "Leïlah Mahi 1932", vient de paraître en poche.


Violaine HUISMAN : "Fugitive parce que reine". Un premier roman consacré à la mère de l'auteure. Une mère singulière, hors du commun, bipolaire dit-on aujourd'hui. Une écriture très belle.


Dominique BARBERIS : "L'année de l'éducation sentimentale". Un petit livre simple et bref où il ne se passe à peu près rien. Trois copines se retrouvent, au bout de quelques décennies, un après-midi d'été. Amertume, désillusion, vertige.


Et maintenant, dans le prolongement de l'invitation de la Russie au dernier salon du livre, un peu de littérature russe ou ayant trait à la Russie.


Patrick BESSON: "Tout le pouvoir aux soviets". Patrick Besson, c'est toujours un peu désinvolte. Mais c'est aussi sautillant, dynamique, inattendu, plein d'humour et souvent très juste.


Philippe VIDELIER: "Dernières nouvelles des bolcheviks". Quatorze nouvelles qui racontent la Russie de l'époque soviétique. C'est très bien documenté, très original, et j'ai moi-même appris beaucoup de choses. C'est à la fois tragique et drôle.


Harold SCHUITEN : "Tu vas aimer notre grand froid". Un jeune Belge part enseigner le français en République de Sakha, en Yakoutie, la région la plus glaciale de la planète. Le saviez-vous ? On a ouvert là-bas, il y a quelques années, une école belge, une école Sakha-belge.


Iouri BOUÏDA: "Voleur, espion, assassin". Par l'auteur du roman culte: "Le train zéro". Une description très juste de la vie quotidienne en Union Soviétique (dans la région de Kaliningrad). Une société désolante mais débrouillarde et burlesque.


Roman SENTCHINE: "Qu'est-ce que vous voulez ?" J'aime beaucoup Sentchine (cf son chef d'oeuvre "Les Eltychev"). Si vous voulez savoir ce qu'est la vie à Moscou aujourd'hui, dans ses plus petits détails, lisez ce bouquin.


Photos de Carmilla Le Golem, à Paris durant l'hiver 2017-2018.

En complément de ces bouquins, je vous conseille vivement quelques films:

"Mektoub, my love" d'Abdellatf Kechiche. Un hymne à la sensualité qui nous change des sinistres militantes "Balance ton porc".

"La belle et la belle" de Sophie FILLIERES avec Sandrine Kiberlain. Une réjouissante et subtile comédie saugrenue.

"The Captain" de Robert SCHWENTKE. Un film glaçant. Comment un banal soldat devient un monstrueux criminel. D'après une histoire authentique.

dimanche 18 mars 2018

"Le petit prospère des peuples"


La Russie et la dictature, ça irait de pair. D'ailleurs, il n'y a que ça qui convienne à la mentalité russe.  On aimerait le knout !  J'entends ça régulièrement, en ce moment, avec l'élection présidentielle russe.


J'en prends vraiment plein la tête. C'est vrai qu'un 6 ème mandat pour un président (soit 24 ans de pouvoir !), ça commence à faire beaucoup. C'est vrai aussi que cette longévité ça engendre favoritisme, corruption, immobilisme: c'est le pouvoir des copains. Et c'est vrai, enfin, que tout a été fait pour éliminer l'opposition politique et qu'il n'y a aucune liberté de l'information. Les médias sont inondés de propagande et, même si on le sait, on finit pas être influencés.


Mais, malgré tout, je ne suis pas sûre que la Russie soit une vraie dictature. Force est de reconnaître qu'il y a une réelle adhésion de la majorité des Russes à Poutine.

S'il s'agit d'une dictature, elle sait du moins user de séduction. Il est d'ailleurs très probable que Poutine serait de toute manière réélu dans l'hypothèse d'élections entièrement libres. Et il faut même reconnaître que l'on peut critiquer publiquement Poutine, dans la rue, entre amis. Il ne vous arrivera rien du moment que ça n'est pas trop virulent et que vous ne cherchez pas à fonder un parti.


Pourquoi en effet les Russes votent-ils Poutine ? Principalement pour deux raisons: d'abord, le fric et ensuite, la sécurité ou du moins le sentiment de sécurité.

* Le fric: l'arrivée au pouvoir (en l'an 2000) de Poutine a coïncidé avec un redressement de l'économie (grâce à l'envolée des cours du pétrole) et l'émergence de la société de consommation. Pour la première fois, les Russes ont pu s'acheter des voitures, voyager, avoir accès à des produits de luxe. Le pays est sorti de la misère communiste, c'est la première explication de la popularité de Poutine même s'il n'y est pas pour grand chose. Le journal "Libération" a, à cet égard, trouvé une formule géniale: "Le petit prospère des peuples". Et comme le dit la grande écrivaine, Ludmila Oulitskaïa: "Ceux qui votent pour Poutine ne s'en lasseront sans doute jamais".


Aujourd'hui encore, la Russie change, évolue sans cesse et il existe maintenant, dans les grandes villes, une importante classe moyenne qui vit assez bien.

J'ajouterai même que la vie courante est, à certains égards, plus facile et moins stressante qu'en France.

On n'est pas oppressés, en Russie, par toute cette effroyable bureaucratie, paperasserie, réglementation, qui rend la vie des Français si compliquée.

En Russie, tout est beaucoup plus simple et plus facile: trouver un logement, un travail, un crédit, payer ses impôts, se déplacer, faire des achats. Bien sûr, ça repose sur des règles ultra-libérales (qui feraient hurler les Français) et il y a des contreparties à toutes ces facilités. Il n'empêche, on en retire le sentiment que si l'on est un peu dynamique, tout est possible et on peut facilement réussir. On n'a pas l'impression d'une société bloquée et c'est assez euphorisant.


Par ailleurs, si les médias sont soumis à une censure féroce, en revanche, la création littéraire et artistique est presque complètement libre (sauf si elle s'en prend au pouvoir politique).

* La sécurité:
La seconde explication de la popularité de Poutine, c'est qu'avec lui, les Russes se sentiraient de nouveau respectés. On veut à tout prix être considérés comme une grande puissance même si le PIB russe équivaut à celui de l'Espagne. C'est un fantasme extravagant qui remonte  au moins à l'époque stalinienne. On veut faire peur même si on ne se rend pas compte qu'on est surtout considérés comme des voyous.


C'est bien sûr ridicule mais il faut dire qu'en Russie, on n'a pas du tout la même vision de l'histoire qu'à l'Ouest. C'est trop long à expliquer mais c'est associé à un nationalisme exacerbé et à la défense de cette bêtise de l'âme russe.

C'est bizarre mais les Russes se sentent menacés. Ils sont convaincus que les Chinois et les Américains veulent détruire leur civilisation. Ils entretiennent l'idée d'un encerclement. C'est pour ça que la société russe est en quête d'ordre et de sécurité et qu'elle approuve entièrement le programme militaire délirant de Poutine.


Ça ne s'est évidemment pas arrangé ces dernières années avec les sanctions occidentales. Les Russes sont maintenant convaincus qu'on ne les aime pas du tout et la propagande leur fait savoir qu'ils sont souvent insultés, agressés quand ils se déplacent à l'Ouest.


Un fossé se creuse de plus en plus. Mais est-ce que ça n'est pas non plus un peu pareil du côté occidental ? Les Français, par exemple, me servent systématiquement que la Russie est un pays dangereux et que les gens de couleur et les homosexuels y sont régulièrement agressés. C'est le grand cliché à l'Ouest qui est l'inverse exact du cliché russe: à l'Ouest, il n'y a que des Noirs et des homosexuels.

J'ai l'impression, en fait, que l'Ouest connaît aussi mal la Russie que la Russie ne connaît l'Ouest.


Tableaux d'Ilya GLAZUNOV (né en 1930). Très connu et très controversé en Russie. Il est un peu le peintre officiel du régime et l'illustrateur de l'âme russe.

samedi 10 mars 2018

Epouvante


Je sais que c'est mal considéré, surtout pour une femme, mais j'aime bien aller voir des films d'horreur-épouvante.

Pourquoi ? Qu'est-ce que j'en retire ? Je ne sais pas bien. J'en ressors troublée, les nerfs à vif, toute mouillée mais tétanisée, incapable de faire quoi que ce soit ensuite, ni dormir, ni baiser.



Je crois que ça me permet d'apprendre à maîtriser mes angoisses.

Et puis, la peur, le malaise, l'inquiétude, ce sont des choses que l'on a évacuées de notre monde sécurisé, aseptisé; on est devenus modernes, rationnels. Ça demeure pourtant pour moi une interrogation continuelle. Je sais que l'horreur peut faire brutalement irruption et m'emporter.

De plus, j'ai remarqué que les films d'horreur-épouvante avaient généralement une femme, jeune et jolie, pour héroïne. Souvent, elle est la victime. C'est une manière de se venger, de lui faire payer son insupportable beauté, son bonheur d'être une femme. Il arrive aussi qu'elle soit une tueuse. Quoi qu'on en pense, on n'abolit pas comme ça les rapports de domination, ils sont bien une clé des relations humaines.

Enfin, il est intéressant de noter qu'il y a beaucoup de femmes qui réalisent des films d'horreur, notamment en France : Claire Denis, Marina De Vans, Julia Ducourneau.

Evidemment, il faut aussi reconnaître qu'il y a beaucoup de "nanars" parmi les films d'horreur. Du kitsch, de l'hémoglobine, des hurlements, on n'y croit pas un instant ! Alors, je vous donne, ci-dessous, la petite liste des films d'horreur que j'ai vraiment aimés.

- "La nuit a dévoré le monde" (2018) de Dominique ROCHER avec Golshifteh Farahani. Le film vient de sortir et je vous le recommande vivement. Un Paris magnifique, crépusculaire, envahi (c'est inédit) de zombies).


- "Triangle" (2009) de Christopher SMITH. Un cauchemar Borgèsien avec un déroulement circulaire du temps. Du même réalisateur, on peut voir aussi "Creep".

- "The Neon Demon" (2016) de Nicolas Winding Refn. Une splendeur esthétique. Des trouvailles visuelles étonnantes.


- "Love Hunters" (2016) réalisé par Ben YOUNG avec Emma BOOTH


- "Grave" (2016) de Julia Ducourneau. Je suis désolée que ce film n'ait pas été primé aux derniers "César". Il était quand même nominé.

- "Dans ma peau" (2002) de Marina de VAN. J'adore Marina de Van, ses films et ses livres. Un film qui soulève plein de questions.


- "Trouble every day" (2001) de Claire DENIS avec Béatrice DALLE. Ecoutez au moins la bande-son des "Tindersticks".


- "Morse" de Tomas ALFREDSON; le chef d'oeuvre suédois du film vampirique contemporain


- "Malveillance" (2011) de Jaume BALAGUERO. Un film espagnol; vous ne considérerez plus de la même manière votre gardien d'immeuble après avoir vu ce film.


- "Ils" (2006) un film franco-roumain, inspiré d'une histoire vraie, réalisé par David Moreau et  Xavier Palud. On découvre un peu Bucarest.

- "Audition" (1999) de Takashi Miike; un des films d'horreur qui m'ait le plus secouée


- "Ring" (1998) de Hideo Nakata

- "Le locataire" (1976) de Roman POLANSKI avec Isabelle ADJANI. C'est déjà ancien et ça n'est pas vraiment un film d'horreur mais c'est très troublant.


Images issues des films pré-cités.


Il est encore assez facile de voir tous ces films qui sont des classiques. Je précise en outre qu'ils sont tout à fait supportables et pas trop gore. J'ai tout de même certaines limites. Je me souviens ainsi d'avoir vu, il y a 10 ans, deux films insoutenables: "Wolf Creek" (2005) de Greg McLean  et "Hostel"(2006) d'Eli ROTH. Je n'en ai pas dormi pendant plusieurs jours. On s'interroge alors sur les motivations des réalisateurs et des spectateurs. Qui suis-je si je suis capable de regarder ça ?

dimanche 4 mars 2018

Immortelle


L'immortalité, ça alimente maintenant toutes les conversations de salon. Ça deviendrait maintenant envisageable avec l'évolution technique et scientifique. On trouve maintenant une flopée de livres sur le transhumanisme ou le projet "Google". C'est le grand fantasme; à croire qu'on arrive pas à faire son deuil de l'effondrement du Christianisme et de sa promesse de la vie éternelle.


La mort, j'a toujours baigné un peu là-dedans. Ce n'est pas pour rien que je suis une vampire. Et je sais qu'il y a, ici-bas, deux catégories de personnes: il y a d'un côté ceux qui ont une famille, ce qui est sécurisant, et de l'autre, ceux qui n'ont en pas et qui se sentent, de ce fait, en première ligne.


Les gens seuls, solitaires, ont une conscience plus aiguë de la mort mais c'est sans doute un atout. Devoir affronter directement la mort rend plus fort et plus entreprenant.

C'est peut-être pour ça que l'immortalité, ça m'apparaît une idée un peu chichiteuse, un piètre idéal.

La mort, en effet, c'est d'abord le sel et le moteur de la vie; la mort, c'est ce qui permet de transformer la vie en projet et de l'éprouver intensément.


Qu'est-ce qui se passerait, en effet, si nous nous savions immortels ? Pour ma part, je sais que je ne me remuerais pas beaucoup. Je me soûlerais à la bière toute la journée, je fumerais sans arrêt des cigares, je serais tout le temps défoncée à la coke ou à l'héroïne. Je ne mangerais évidemment que des cochonneries (frites, gâteaux, charcuterie) et ne ferais plus aucun sport. Je prendrais très vite 50 kilos. Au total, ma séduction prendrait un sacré coup. Mais séduire, il est vrai que je n'en aurais plus besoin puis qu'à l'aune d'un temps infini, tout devrait m'arriver forcément et que je coucherais avec tous les hommes et toutes les femmes du monde.


Surtout, sachant que j'ai tout le temps devant moi, je remettrais tout à plus tard. Il serait toujours temps d'agir, d'entreprendre. Les projets, ils se réaliseront d'eux-mêmes. L'immortalité, c'est la fin de l'urgence et donc de l'histoire. Plus rien de grand ne peut émerger de l'immortalité.


C'est aussi la fin du désir et de l'amour. Comment désirer, en effet, un autre immortel ? Un immortel,  c'est quelqu'un qui est devenu sans failles, qui a atteint une certaine perfection, sans angoisses et sans souffrances. Mais on le sait bien, ce qui nous séduit en l'autre, ce n'est surtout pas sa perfection : ce sont plutôt ses failles, ses manques, sa fragilité, ses insuffisances. Se parler, échanger,recourir au langage, à l'écriture, ça ne serait même plus nécessaire, ça ne servirait plus à rien. On n'aurait plus rien à communiquer: plus de détresse, plus de douleur, plus de déréliction.


A quoi bon, enfin, chercher à créer, à faire oeuvre d'art, si nous sommes immortels. L'Art se soutient, en effet, de sa lutte contre la mort. Si celle-ci disparaît, il perd aussi sa raison  d'être.


Tableaux du peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901) et de l'allemand Ferdinand Keller (1842-1922).