samedi 3 février 2018

Des différences culturelles


Les différences culturelles, c'est peut-être plus déstabilisant que les grandes différences politiques, religieuses, économiques.

C'est moins évident, pas toujours perceptible, ça part dans tous les sens, ça touche plein de domaines, c'est d'autant plus troublant.

Il y a comme ça, par exemple, plein de petites choses qui continuent de m'étonner quand je vais en Russie.


Je vais ainsi citer:

- le nombre incroyablement réduit des prénoms en usage. La fantaisie est considérée de mauvais goût et on s'en tient aux prénoms slaves. Presque toutes les filles s'appellent Olga, Tatiana, Daria, Ksenia, Anastasia... Pour les types, c'est pareil (Iegor, Dimitri, Nikita, Andreï, Serguieï)... Mais en contrepartie, personne n'est appelé de son prénom officiel mais a droit à une flopée de diminutifs affectueux.


- quand on donne son adresse, on fait les choses "à l'envers". On n'écrit pas: Carmilla Le Golem, 34, rue de Téhéran (ce n'est évidemment pas ma véritable adresse), 75008 Paris, France mais: France, Paris 75008, 34, rue de Téhéran, Carmilla Le Golem.


- dans les villes russes, quand on est piéton, on erre infiniment dans des couloirs souterrains, glauques et sinistres. Au-dessus, il y a le flot des automobilistes pris dans les embouteillages sur des avenues gigantesques. On est souvent sous terre (surtout dans le métro, vertigineusement profond), ça remonte à l'époque soviétique.


- dans un immeuble, le rez-de-chaussée n'est pas identifié par le numéro 0 mais par le 1. Le RDC, c'est le 1er. Quand on habite au 3 ème en Russie, c'est le 2 nd en France. Curieusement, c'est comme aux Etats-Unis.


- quand on rend visite à quelqu'un, on ne se salue jamais sur le seuil de la porte mais dans le couloir d'entrée. Ça porterait malheur. Une fois à l'intérieur, on se déchausse pour mettre des chaussons.


- quand une bouteille est vide, on ne la repose pas sur la table mais sur le sol.


- quand on quitte la maison pour un voyage, on s'assoit un instant sur ses valises.


- l'alphabet cyrillique, c'est joli mais quand il s'agit de transcrire en alphabet romain, c'est tout un problème. C'est approximatif et arbitraire. Ça vaut surtout pour les noms de lieux et de personnes. On ne sait jamais trop comment ça s'écrit. C'est à tel point qu'un Français qui citerait les écrivains russes qu'il aime (par exemple Dostoïevsky ou Tolstoï) ne sera tout simplement pas compris. Ça génère un sentiment d'isolement et d'incompréhension.

Quant à la langue russe, je la trouve curieusement imagée. J'ai découvert comme ça, récemment, qu'on disait "petit chien" (sabatchka) pour arobase (@). Je trouve ça trop concret.


- l'espace public et l'espace privé. En Russie, les frontières sont beaucoup moins étanches. Les gens s'adressent facilement la parole dans la rue, dans les transports, pour échanger ou même s'invectiver ou se disputer. En matière amoureuse, ça rend les choses beaucoup plus faciles qu'en France. Il est tout à fait possible à un homme d'aborder directement une femme dans la rue et de lui dire qu'il l'a trouvée jolie. Elle ne s'en offusquera pas, il ne se fera pas cracher dessus et ne sera pas perçu comme un harceleur. Du reste, on ne comprend, là-bas, à peu près rien à l'affaire Weinstein. Mais il est vrai que les codes des relations entre les hommes et les femmes sont complètement différents.


- Les transports: la France a de jolis trains mais on s'y ennuie. Chacun est cloué à son fauteuil, muet et immobile pendant tout le voyage. En Russie, c'est un vrai cirque ambulant. Les wagons sont rapidement envahis de marchands, de camelots, de babouchkas, de clowns. C'est un spectacle permanent, on ne s'embête pas un instant.


- J'ai du mal avec la religion orthodoxe. Les cérémonies sont très longues et on ne peut pas s'asseoir. Il faut rester tout le temps debout. Je trouve ça épuisant.

Je trouve très impressionnants, cependant, les enterrements avec les cadavres exposés dans leur cercueil.

Et puis, j'adore les cimetières dans les pays slaves. Ce sont des lieux très animés. Les familles rendent régulièrement visite à leurs morts et viennent, à l'occasion, partager avec eux un repas. On laisse même, en partant, un peu de nourriture. 


Voilà ! Toutes ces petites impressions vous apparaissent sans doute hétéroclites, chaotiques, fragmentaires. C'est une succession incohérente de petits riens. Mais c'est aussi comme ça que se façonne notre vécu.


Tableaux de Léon BAKST (1866-1924) et Alexandre BENOIS (1870-1960), les célèbres peintres et décorateurs des ballets russes.

Pour prolonger votre dépaysement, je vous conseille: 

- un film japonais: "OH LUCY !" de Atsuko Hirayanagi.
- un film américain: "Wonder Wheel" de Woody Allen.
- un film polonais: "The last family" de Jan Matuszynski.

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